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« En toi paraît Leïla et d'Elle tu t'enquières ;
Tu penses qu'Elle est autre et autre Elle n'est guère !
En le dogme d'amour, c'est une insanité ;
Comprends : la désunion est dans l'altérité !
Ne la vois-tu donc pas te vêtir d'élégance ? 
Elle disparaîtrait n'était-ce ton essence.
Approche - Lui dis-tu ? Elle est toi, il s'avère !
Et puis t'accorde-t-Elle cette union qui t'est chère,
Plus de proximité, tu crois, cela confère !
Sa rencontre est ardue : ne peut la convoiter 

Que l'homme départi de son identité.
Je me suis d'Elle épris, grandement, follement ;
Je L'ai aimée encore, jusqu'au ravissement.


Si Elle jure alors que je suis Elle-même, 

N'y voyez l'expression d'un quelconque blasphème.
Jaloux de cette ardeur, tu peux me quereller : 

Je n'entends et ne suis pas même interpellé.
Prêterais-je l'oreille à qui me moralise, 

Quand sur Elle se noue le col de ma chemise !
L'objet de mon ardeur, en Elle je voyais. 

Mais mon principe même, ô bonheur, Elle était.
En la voie de l'amour, je La disais l'essence.
J'ai donc dû effacer mon humaine substance,
Pour que soit, à ces mots, donné dûment créance.
J'étais dès lors l'aimé, moi qui était l'amant,
Mon existence étant mon plus grand manquement !
Par Elle était mon ouïe, par Elle mon regard :
De Soi Elle donnait à Soi l'image à voir ! »

(Al Harraq, fin du XVIIIe siècle)




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